I. Traitement de texte vs. éditeur de texte

Je reconnais qu'en apparence, la différence n'est pas frappante.

Un éditeur de texte est un logiciel qui va vous servir à entrer votre texte « dans » votre ordinateur, et à le sauvegarder. Notez que cette sauvegarde est dans un format « brut », c'est-à-dire sans mise en forme : ici, pas de fioritures, de soulignement, d'italique… rien que les caractères basiques. Encore moins de cochoncetés comme les SmartArts, pour ne citer qu'eux. Ainsi, votre fichier pourra être ouvert par n'importe quel éditeur, de nano à Vim en passant par Emacs.

Un traitement de texte, comme son nom l'indique, intègre un éditeur auquel s'ajoutent des fonctions de traitement. Là, vous pourrez tripatouiller le texte pour le mettre en gras, le barrer si vous le voulez, changer sa couleur… Toute cette mise en forme devra être enregistrée avec le texte, par le biais d'« instructions » propres à l'unité de traitement de texte. Du coup, pour ouvrir le document ainsi créé, vous devrez soit utiliser le même logiciel que celui qui a servi à sa création, soit utiliser un autre logiciel disposant du filtre de conversion adéquat. Ce qui n'est pas toujours évident (cf. mon article sur les formats ouverts/fermés). Ceci dit, un avantage des logiciels de traitement de texte est qu'ils sont le plus souvent « WYSIWYG » (What You See Is What You Get, vous obtenez ce que vous voyez) : le texte entré est traité suffisamment rapidement pour vous donner un aperçu presque fiable de ce que vous obtiendrez une fois la feuille sortie de l'imprimante.

Point de WYSIWYG avec les « simples » éditeurs de texte. Mais vous pouvez tout de même annoter votre texte brut à l'aide de balises. Ainsi, en LaTeX, mettre une phrase en gras donnera :

 
Sélectionnez
\bfseries{Ce texte est en gras,} pas celui là.

Une fois le fichier texte passé par la moulinette de TeX, l'unité de composition, on obtient la mise en forme demandée sur le document PDF. Eh oui, pas plus méchant que ça. Pour l'utilisateur, du moins. On continue.

II. Le WYSIWYG, c'est pas bien

Non mais, vraiment. Pourquoi, me direz-vous. C'est (relativement) simple. Quand vous (et quand je dis « vous », j'englobe aussi bien les étudiants que les secrétaires, les auteurs, les chargés de com'…) avez un texte à taper, qu'est-ce qui est le plus important pour vous ? Le sens et l'articulation de votre document, ou l'apparence visuelle de ce dernier ?

La réponse va sans dire : le sens. Dans le cas contraire, il y a fort à parier que le reste de l'article va vous contrarier, et il est surtout certain que vous avez raté un truc à l'école.

En rédigeant un document dans un simple éditeur de texte ASCII, vous vous concentrez sur le contenu, sur les mots à utiliser, sur le sens que vous voulez que votre document véhicule. C'est ce qu'on appelle le « WYSIWYM » (What You See Is What You Mean, ce que vous voyez est ce que vous voulez dire).

Citons maintenant quelques inconvénients reconnus des traitements de texte WYSIWYG :

  • impossible de se concentrer sur le texte lui-même. Combien de fois votre souris a envie de se promener sur les styles, les boutons, la mise-en-forme… qui doit être séparée de la phase de rédaction elle-même ?
  • on n'articule pas un rapport comme on enfile une chaussette. Et avec un traitement de texte, on a quand même tôt fait de zapper l'articulation logique pour s'occuper de problèmes superficiels, comme la typographie ;
  • le WYSIWIG est « temps réel ». Cela n'est possible qu'au mépris des règles typographiques. Ainsi, le rendu sera d'une qualité moindre qu'un même document brut passé par un processeur de texte. Et quand je dis « moindre », je veux que vous compreniez « inférieure et de très loin » ;
  • essayez d'ouvrir un .doc pondu par MS Word avec un autre logiciel quelconque. Pleurez.

Vous voyez peut-être un peu mieux où je veux vous amener. Ce n'est pas la mise en page qui rend le texte intéressant. C'est le contenu. Et à ce moment-là, ça donne envie à un éditeur de le publier. Maupassant ne bricolait pas sa mise en page. Il fournissait un document annoté, et c'est l'éditeur qui faisait le reste.

Aujourd'hui, c'est à nous de tout faire nous-mêmes. Et c'est là que TeX et LaTeX entrent en jeu.

III. Tex, puis LaTeX

TeX, c'est un logiciel écrit par Donald Knuth (Stanford University) à partir de 1977 (oui, déjà). C'est un ensemble d' « algorithmes » facilitant la mise en forme de documents divers et variés, plus connu sous le nom un peu barbare de « logiciel de composition typographique ». Il est de plus tout particulièrement adapté pour l'édition de formules mathématiques, de partitions, de formules chimiques…

LaTeX, c'est un ensemble de macros (des raccourcis si vous voulez, comme \section{} qui va appeler plusieurs commandes afin de mettre votre titre en gras, de le numéroter… choses que vous feriez séparément avec un traitement de texte !)

Ces deux logiciels sont gratuits, libres (ou presque : licence LPPL), et disponibles pour la plupart des plates-formes (donc aussi bien MS Windows que Linux, en passant par Mac OS). Aucune excuse donc pour ne pas l'utiliser !

IV. De la puissance de LaTeX

Une fois que vous avez tapé votre texte et ajouté des balises (et certains logiciels vous permettent de pas avoir à les apprendre, hein), vous pouvez modifier uniformément le rendu final, en chargeant des « packages ». Exemple : le package babel permet à TeX d'adapter une partie de la mise en forme à la langue de votre document.

Ainsi, un petit :

 
Sélectionnez
\usepackage[francais]{babel}

Vous permet tout simplement d'avoir le bon espacement entre les signes de ponctuation, comme en français, car vous savez qu'en anglais par exemple c'est différent. On ne peut pas en dire autant de MS Word, qui est capable de changer de langue à chaque nouveau paragraphe sans raison valable.

De même, il existe des « classes » de document, avec une mise en page associée toute prête, bien que personnalisable à outrance. Citons « article », « report », « letter », « moderncv »… Et oui, un document de type « letter » auquel on ajoute la ligne précédente avec babel va miraculeusement changer sa forme pour adopter notre standard français bien d'chez nous.

Et bien sûr, vous pouvez changer le type de document sans avoir à toucher au texte lui-même. TeX adaptera la mise en page comme un grand, en se servant des balises. Si ça c'est pas de la puissance et du temps de gagné…

V. Pour le fun : LaTeX vs. MS Word

Parce que sans ce petit match, j'ai peur que vous passiez à côté de l'essentiel. Allons-y…

  MS Word LaTeX
Documents courts Avantage à Word sur ce point. Le mode WYSIWYG est adapté à ce cas de figure, mais ça s'arrête là. Intégrer une image et la garder en place relève de l'exploit.
4/5
Pour les documents courts, reconnaissons-le : le premier « modèle » avec LaTeX est un peu long à taper, à cause de l'intégration des packages et de la mise en page dans un second temps. L'utilisation de LyX permet de contourner ce problème.
3/5
Documents longs, avec images Là, ça se complique. Les automatismes de Word, censés aider l'utilisateur, peuvent vite devenir une plaie. À croire que les développeurs ne l'ont jamais utilisé. Sur des machines peu puissantes (typiquement les netbooks), les sauvegardes automatiques plus ou moins random provoquent parfois des « gels » de l'écran, et l'utilisateur doit cesser sa frappe le temps que le logiciel avale la charge, au risque sinon de faire planter la machine.
La mise en page de longs documents est particulièrement pénible, en particulier lorsque plusieurs utilisateurs ont travaillé sur le document.
1/5
Dans ce second cas de figure, LaTeX est le plus pratique et rapide. Pour plusieurs raisons, dont le fait que la mise en page ne se fait qu'une fois, à la toute fin du travail. Les options de placement d'image sont disponibles et fonctionnent. Le texte étant au format brut, plusieurs personnes peuvent l'éditer sans poser des soucis au moment du rendu final.
5/5
Simplicité d'utilisation Word 2010 est assez simple à utiliser. Intuitif, du moins, pour une utilisation basique. Dès que ça se complique, l'aide est la bienvenue (quoi qu'elle soit devenue bizarre dans les dernières versions). Pour preuve : le programme du C2i.
4/5
Passé le premier petit temps d'apprentissage (il en faut quand même), c'est tout bon. Chaque package dispose de sa propre documentation spécifique, bien que souvent en anglais. C'est le seul défaut.
4/5
Qualité du rendu final Rendu passable pour la plupart des utilisations quotidiennes. On reste très loin d'un rendu professionnel. On peut améliorer la qualité un peu si on connaît bien le logiciel et ses réglages avancés.
3/5
Dès le départ, on a un rendu pro. Quel que soit le type de document. Et ça fait plaisir de regarder son travail après ça. Par ailleurs, tous les réglages sont personnalisables, afin d'obtenir vraiment ce que vous vouliez.
5/5
Fonctionnalités scientifiques Word rattrape une partie de son retard sur ce point. Il propose maintenant des « équations », permettant très curieusement d'utiliser un peu du langage LaTeX pour taper certaines lettres grecques, fonctions… mais pas trop quand même. Notez que cette fonction n'existe que depuis Word 2007, et que les versions précédentes ne verront qu'une image en lieu et place d'une ligne éditable. C'est moche.
Et… créer une bibliographie digne de ce nom sous Word, c'est juste impossible. Aucune fonction intégrée.
2/5
LaTeX est open-source : quoi que vous vouliez faire, il y a quelqu'un qui a eu la même idée et a développé des macros pour se (et par la même occasion vous) faciliter le travail.
Côté références/biblio, c'est du tout cuit aussi, notamment grâce à JabRef qui vous permet de gérer ça graphiquement avec une simplicité déconcertante.
5/5
Compatibilité/intéropérabilité Aucun effort de ce côté chez Microsoft. Si c'est pas le contraire : même entre différentes versions de Word, des incompatibilités existent, qui poussent l'utilisateur vers la version la plus récente à grand coups de pieds dans l'arrière-train.
3/5
Le format de sortie principale est le PDF, lisible partout et avec un rendu identique (c'est le but du PDF). Le format tex étant brut, de nombreux programmes permettent l'import/export. Ainsi, le logiciel Maxima (calcul formel) permet d'exporter les calculs faits directement en LaTeX. Ce n'est qu'un exemple !
Enfin, la licence de TeX a été pensée dans le but de garantir la compatibilité des programmes utilisant TeX comme unité de composition.
5/5
Licence/Disponibilité Propriétaire. La suite Office pour étudiants coûte 99 €, plus pour les autres, les riches/Disponible dans à peu près tous les magasins spécialisés et grandes surfaces, grâce à un lobbying acharné.
1/5
Quasi-libre, sous licence LPPL. Gratuit/Disponible dans les dépôts de quasiment toutes les distributions Linux. Dispo en téléchargement pour quasiment tous les systèmes d'exploitations (cf. liste ci-dessous). D'autres éditeurs gratuits existent, qui utilisent TeX pour le rendu.
5/5
Note finale 18/35 32/35

VI. Télécharger LaTeX

Pour Windows : MiKTeX (qui inclut TeXworks, un éditeur).

Pour Mac OS : MacTeX.

Pour Linux/BSD/Unix : dans les dépôts de votre distro. Sinon : TeXlive.

Quelques éditeurs sympa : TeXmaker, LyX, TeXnicCenter

VII. Agrogrom, agrogrom !

Je reconnais que vous pouvez voir en moi une espèce de fanatique, après avoir lu tout ça. C'est pas faux. Réellement, ça me hérisse le poil de voir que MS Word (et c'est pour ça que je l'ai cité ici, et pas LibreOffice par exemple) tend à devenir une « norme » au sein des entreprises, là où même l'administration a compris l'intérêt d'utiliser des logiciels libres. Combien de documents recevez-vous au format doc/docx ? Combien sont mis en page comme l'aurait fait un gorille muni d'un pot de peinture et d'une serpillière ? Combien sont juste illisibles, avec une mise en page aléatoire (un paragraphe justifié, pas le reste, une police par-ci, une autre par-là…) ? Et bien pire : combien de ces documents ont un plan (une articulation logique) en dépit du bon sens ? Eh bien, ce n'est pas seulement la faute de l'auteur…

J'ai essayé de vous faire comprendre que ce n'est pas seulement un débat d'idées, mais qu'il y a un vrai problème, dans la façon d'écrire les documents. Ou plutôt non, pas dans la façon d'écrire, celle-là est immuable, mais dans la façon (qui tend à se démocratiser) dont on voudrait nous les faire écrire, ces documents. Question d'économie.

Pour vous convaincre, je vous raconte une histoire que vous trouverez un peu partout sur le net, très connue de nous autres informaticiens : la disposition du clavier QWERTY. On pourrait penser que cela nous vient des machines à écrire ; il n'en est rien. Les anciennes dactylo étaient devenues tellement rapides avec leurs machines qu'elles en venaient à taper de nouveau sur une touche avant que la précédente ait eu le temps de remonter après la première frappe. Du coup, ce deuxième caractère n'était pas imprimé, et la touche pouvait se bloquer. C'est là que QWERTY est apparu, pour éviter que les dactylos ne tapent trop vite, grâce à cette disposition peu naturelle.

Là, vous vous dites « mais avec un ordinateur, c'est stupide ! ». Oui. Mais c'est trop tard, c'est le standard, et les tentatives pour le déloger (Dvorak, bépo…) se sont révélées vaines.

Du coup, avant qu'il ne soit trop tard, remettez-vous à écrire avec la bonne méthode, et délaissez ces usines à gaz mal pensées que sont les logiciels de traitement de texte. LaTeX, c'est la vie.

Word cherche à s'imposer comme un standard, dont il est loin de posséder les atouts… moins efficace, lourd, vecteur d'incompatibilités, payant (et de par le fait pas accessible à tout le monde)… De quel droit réserver l'édition et la lecture de textes mis en forme à une « élite » ? Word n'est qu'une locomotive à vapeur, dépassée, mais qui continue à tirer avec elle le monopole Windows. je n'entrerai pas plus avant dans ce débat aujourd'hui, vous savez ce que j'en pense. Retenez juste que Microsoft a tout intérêt à ce que Word crée des incompatibilités, afin de vous obliger à acheter la nouvelle version « plus mieux ».

Pour finir, rappelez-vous ça : « You asked for it, you got it. »